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Premiers résultats de l'enquête "nourriture"

Bon, parlons sérieusement, parlons nourriture. Catering. Distribution. Bref, j'ai enquêté sur ce fameux sujet des plats délivrés par la société grecque et qui sont distribués au camp.

Chaque jour, de 12 h 30 à 13 h 30, les familles, souvent les enfants, sortent de leur maison avec un carton qu'ils vont faire "remplir" à la grande cuisine.

La porte s'ouvre et une dame donne les portions pour la maisonnée.

J'ai testé deux fois, d'abord parce que je n'avais rien à manger (même si je me suis dit que ça craignait de prendre la nourriture des réfugiés et puis après je me suis souvenue que de toute façon, ces barquettes finissent à la poubelle), et aussi parce que je voulais voir si c'était si mauvais que ça.

Le discours es réfugiés est très clair et le même pour tous : "food no good".

Il y a plusieurs questions soulevées par ce problème de nourriture : le mode (la distribution par exemple) et la qualité.

D'abord, gustativement parlant, j'ai trouvé ça pas terrible dans l'ensemble mais ça, c'est très subjectif. Les travailleurs sociaux que j'ai rencontré (ah oui, ça aussi, faut que je vous en parle, mais ce sera pour plus tard) m'ont dit que c'est parce que c'est de la nourriture "au goût des Grecs" et pas "au goût des Syriens". Du coup, j'ai demandé à ces gens-là si c'était effectivement à leur goût.

- Beh, on n'a pas goûté mais sûrement, oui.

 

Bon. Parce que moi, j'ai goûté.

Deux hypothèses : soit ses travailleurs sociaux grecs n'ont pas de chance et se sont toujours retrouvé en Grèce à manger des trucs insipides, soit ils se fichent de moi. Ou alors troisième hypothèse : je suis hyper chanceuse. Parce que toute la nourriture grecque que j'ai mangé était très parfumée, goûteuse. Ou alors, devrais-je en conclure que la nourriture grecque que j'ai mangé n'était pas "au goût des Grecs"?

Bref, au menu le premier jour du test :

- une barquette individuelle de haricots blancs dans une sauce à la tomate. Pas mauvais. Beaucoup d'huile, mais pas mauvais.

- une barquette avec deux œufs durs, un tronçon de concombre et une tomate. La tomate était moisie, je l'ai jetée.

 

Premiers résultats de l'enquête "nourriture"

Au menu le deuxième jour du test :

- une barquette individuelle de pois chiches dans une sorte de purée un peu liquide granuleuse de légumes ou de riz, au goût totalement indéfinissable. Pas bon. Pas fini, d'ailleurs.

- un morceau de feta dans du cellophane.

Chaque repas est accompagné d'un petit pain emballé. Les réfugiés reçoivent aussi une bouteille d'eau d'1 litre par personne et par jour, parce que l'eau du robinet n'est pas potable en Grèce.

Au petit déjeuner, ils reçoivent une petite brique de jus d'orange, un croissant emballé et un fruit. Le fruit change tous les 4 mois : 4 mois de pastèque, 4 mois de pommes. Là, en ce moment c'est les oranges, pour 4 mois donc.

Apparemment, il y a de la viande une à deux fois par semaine. Quand c'est du poulet, ils sont assez contents parce qu'ils peuvent le recuisiner. Sinon, les autres fois, c'est les chiens qui sont contents.

Sinon, les menus sont pratiquement toujours les mêmes, composés principalement de légumes secs : petits pois, haricots blancs, pois chiches, lentilles.

 

Parfois, il y a des distributions grâce à des associations, comme l'asso Share qui est venue la semaine dernière avec du riz, de l'huile, du sucre, etc. Lez familles demandent surtout des légumes, mais c'est beaucoup plus difficile pour les assos que les produits secs.

Petite anecdote racontée par un des bénévoles de Share : dans un camp de réfugiés dans une île (pas dans celui où je suis, donc), il y a eu un jour une distribution de viande par la Croix Rouge. Les réfugiés étaient trop contents jusqu'à ce qu'ils lisent les étiquettes : c'était du porc. Véridique. Y'a des fois, faut pas trop s'étonner que les gens deviennent fous.

Cet été au camp, il y a eu une distribution de boissons aromatisées. Les dates de péremption étaient dépassées. Et pas de trois jours apparemment.

 

Au camp, certaines familles ont trouvé des arrangements. Par exemple, il y a un pépé dans le voisinage qui a beaucoup d'animaux et qui vient chaque jour récupérer les petits pains emballés et les croissants que les gens ne mangent pas pour ses bêtes. En échange, il leur amène des citrons et des oranges de son verger.

Ca tombe bien parce que les Syriens font une consommation impressionnante de citrons (un demi-citron coupé et saupoudré de sucre, c'est souvent le goûter des enfants au camp), ils adorent ça, ils en mettent dans tout.

Ca, c'était un petit point sur la qualité de la nourriture. Ce n'est donc pas aussi affreux que ce que je pensais. Sauf quand les légumes, censés être frais, arrivent moisis. Et sauf quand on mange ça tous les jours, tous les repas.

 

J'en viens donc au deuxième point de mon enquête. Je pense que la qualité est effectivement remise en question parce que ce sont des repas imposés. Quand on se voit remettre un plat tout prêt, j'imagine qu'on est beaucoup plus exigent sur sa qualité que quand on a acheté les légumes au marché et qu'on l'a préparé soi-même.

Non pas parce qu'on est plus indulgent avec soi-même, mais parce qu'on ne l'a pas choisi et parce qu'on ne l'a pas préparé.

Quand j'y pense, je me dis que c'est vraiment un privilège d'adulte qui vit chez lui que de pouvoir choisir ce qu'il mange. Même un choix entre des pâtes à l'eau et des patates à l'eau est déjà un choix.

Les enfants ne choisissent pas en général ce qu'ils mangent, c'est les adultes qui choisissent pour eux. Pareil pour les gens qui vont à la soupe populaire. Pareil pour les prisonniers. Pareil pour les réfugiés.  

C'est comme le coup des barquettes individuelles là. Chacun sa barquette, toute chaude. Y'a plus qu'à l'ouvrir et à y plonger une cuillère. Youpi, on peut se dire quand on a vraiment la flemme de cuisiner. Encore une fois, il est question là de choix. On fait le choix de s'ouvrir une barquette de surgelés. Et encore, on doit la mettre dans le micro-ondes.

Avec ces ****** de barquettes individuelles, le repas n'a plus qu'un seul intérêt : nourrir. Ne pas mourir de faim. On enlève toute la notion de plaisir, toute la notion de convivialité.

 

Pensez aux recettes de Mamie, de Tata Henriette ou le fameux pâté du cousine Léon, ou la confiture de la voisine qui a gardé les proportions de sa grand-mère. Vous vous rendez compte à quel point on transmet, juste avec une recette de gâteau au yaourt.

Qu'est-ce on transmet à ses gosses avec une barquette sous-vide?

 

Pensez à ces après-midis de pluie où on fait des crêpes, à ces dimanches où tout le monde s'ennuyait et où on a fini par préparer des cookies, pensez à la bouille barbouillée de chocolat du marmot qui a le droit de "lécher" le fond de la casserole, ou à la petite fille qui disparaît presque entièrement dans la bassine à confiture pour la curer avec ses doigts.

Comment on s'occupe quand on reçoit des barquettes toutes prêtes? Comment on s'amuse en famille ? Comment on partage?

 

Pensez à ce bon petit repas qu'on s'est préparé pour fêter Noël, pensez à ce gâteau qu'on a fait pour l'anniversaire de Kevin parce que c'est son gâteau préféré. Pensez à Tata Henriette qui ne vous laisse pas partir sans vous avoir refilé deux ou trois boîtes Tupperware avec les restes du poulet rôti, deux parts de cake "et puis tu verras, j'avais prévu un peu de ratatouille au cas où, ça te fera des légumes".

Comment on prend soin de soi et de ceux qu'on aiment avec des barquettes ?

 

Pensez à cette belle table qu'on dresse les soirs de fête, à ces conversations passionnées de Tata Henriette (oui, toujours elle) qui vous tenait la jambe au téléphone pour savoir ce que vous pensiez des assiettes bleues sur des sets de table dorées : "tu crois que ça fera too much ou bien?" (oui, définitivement!). Pensez à ce plat de pâtes bolognaise qui a quand même une autre allure que quand on pose la casserole directement sur la table. Pensez à ces bagarres entre frère et sœur pour mettre la table histoire de ne pas avoir à la débarrasser.

Vous vous imaginez vraiment vous mettre à table avec chacun sa barquette en plastique ? 

 

Pensez à ce voyage en Espagne où les premiers jours, c'était marrant les calamars frits, les œufs frits, le chorizo frit, et puis au bout d'un moment, vous aviez juste envie d'une bonne salade parisienne. Ou de cette semaine chez votre cousin végétarien. Il est adorable, Gustave, hein, franchement on s'est bien marrés, mais au bout du sixième jour de ragoût de quinoa au tofu, on se rêve un bon gros steak saignant et même le chat, on le regarde d'un œil gourmand.

On a des habitudes alimentaires, et on leur donne beaucoup plu d'importance qu'on y pense. La nourriture, c'est ma culture, c'est ma famille, c'est mon pays. Ca fait partie de mon identité.

D'ailleurs, c'est un des trucs qui m'interrogent le plus au début quand je visite un pays. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien manger? Dans les restaurants à l'étranger, je prends toujours le plat au nom le moins compréhensible, quitte à avoir de grosses déconvenues. Mais ça me donne l'impression de m'immerger dans la culture du pays.

Et quand je rentre, rien ne me rend plus heureuse que de me faire un bon plat du terroir, de sortir un bon pâté, un bon fromage qui pue, une bonne bouteille de rouge. Parce que c'est ma culture. Même si ça me fait plaisir de découvrir d'autres cultures. Mais encore une fois parce que j'ai le choix.

Alors oui, ils sont pénibles à râler toujours à propos de la nourriture qui est "mangeable", voire pas toujours "immonde", et même parfois "pas mal", mais selon moi, c'est pas tant le problème de la "nourriture" que tout ce manque autour de ce que constitue le "repas".

Du coup, voici ce que deviennent les fameuses barquettes. Et ça me fait dire que je dois aussi vous parler des ordures dans un autre article...

Premiers résultats de l'enquête "nourriture"
Premiers résultats de l'enquête "nourriture"

 Et aussi un super reportage photo sur ces familles dont je vous parle, sur ces femmes que je rencontre et avec lesquelles je bois des cafés en discutant couleur de cheveux, éducation des enfants et bombes sur les maisons.

Enjoy ! Et mahsalama !

 

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J
Le spleen grec, Baudelaire en avait-il parlé ? Non je ne crois pas. <br /> Cette plongée au sein des contradictions de notre monde, de l'hypocrisie de notre monde de riches et gras égoïstes ce n'est quand même pas la descente aux enfers, mais c'est toujours une certaine forme de désillusion que d'aller voir l'envers du décor. <br /> Derrière la logistique, l'organisation, ils y a des gens qui sont là et c'est tout à votre honneur de les mettre en lumière. <br /> Courage et à bientôt. <br /> Jérôme.
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