Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La suite des aventures...

... Le lendemain matin, à dix heures, nous étions sur le pied de guerre à attendre l'intervention de notre superviseur.

Un peu après le coup de colère, il nous avait expliqué que son anglais étant médiocre, il y avait peut-être des choses que nous n'avions pas bien compris dans ce qu'il nous demandait. Une bénévole grecque vient de temps en temps s'occuper du jardin d'enfants et elle parle très bien anglais. Il avait donc pensé faire appel à elle pour traduire ses instructions.

Il tenait aussi à nous informer de la "situation économique grecque". 

En réfléchissant un peu, je pense que le superviseur pense que l'équipe de volontaires a influencé les enfants. 

Les volontaires présents sur le camp font partie du Projet School Box. Ils s'occupent donc tous de l'école sur le camp. Or ils ont essayé de coopérer avec les enseignants grecs sans grand succès. Les enfants du camp boycottent l'école grecque mais pas l'école du camp.

Les volontaires se retrouvent donc un peu piégés : ils veulent encourager les enfants à aller à l'école grecque parce que c'est bon pour eux d'aller à l'extérieur, d'avoir un rythme, d'apprendre de nouvelles choses, de faire quelque chose de normal pour des enfants. Mais l'école grecque n'est pas du tout satisfaisante.

D'une part, parce que les professeurs ne sont pas formés pour ça. Elles parlent anglais mais moins bien que certains gamins, elles n'ont aucune notion de ce que c'est vivre dans un camp, de l'idée d'urgence, de survie, de l'absence de rythme, etc. Donc elles en demandent parfois trop aux enfants (du genre ils ne peuvent pas se lever de leur chaise, ni aller aux toilettes) et en même temps pas assez (du genre ils ont une leçon d'une heure et le reste de l'après-midi ils jouent dans la cour).

D'autre part, parce que la situation économique grecque ne permettant déjà pas aux écoliers grecs de bénéficier de la meilleure scolarité possible, ça paraît difficile de le mettre en place pour les écoliers non-grecs.

Bon nombre d'écoles, de lycées, d'universités en Grèce ne sont pas chauffés pendant l'hiver (pas de sous). Les profs qui sont là pour les enfants réfugiés sont les mêmes que celles qui enseignent aux petits Grecs le matin. Vous imaginez les journées?

Un des professeurs a annoncé aux enfants réfugiés qu'ils auraient des leçons d'informatique... dès que l'école aurait trouvé des ordinateurs.

Le superviseur a du s'imaginer que les volontaires voulaient plus faire la promotion de l'école dans le camp que de l'école grecque. 

Pourtant, ils ne sont pas du tout intervenus dans le mouvement de contestation portés par les réfugiés. Les volontaires se contentent de respecter les décisions des familles, et de maintenir un "service minimum" à destination des enfants du camp.

De leur côté, les professeurs grecques sont venues sur le camp afin de comprendre ce que les familles reprochaient à l'école grecque. Même si leur passage intervient un peu tard, je pense que leur passage était une bonne intention.

Le problème est qu'en venant dire aux enfants "ça nous a rendu vraiment tristes que vous ne veniez pas à l'école grecque", ça place ces derniers dans une position très peu confortable :

- soit ils font plaisir aux professeurs grecques en venant à l'école, mais se mettent les parents à dos,

- soit ils font plaisir à leurs parents en respectant leurs décisions, et se mettent les  professeurs à dos...

Cette tentative d'utiliser les enfants dans un combat qui ne leur appartient pas me dérange vraiment beaucoup.

D'ailleurs, quand le bus est venu cet après-midi, ça a créé un vrai problème.

Certains enfants, notamment ceux qui avaient passé du temps avec les professeurs grecques la veille, étaient devant le portail avec leurs cartables à attendre le bus. Ils étaient une vingtaine, sur les quatre-vingt dix enfants du camp.

Certaines mamans les accompagnaient.

Le bus s'est garé devant le portail, comme d'habitude. Mais on sentait bien que quelque chose clochait. Tout le monde hésitait à s'approcher du bus. Les gamins regardaient les mamans, interrogatifs. Les mamans parlementaient entre elles, nous questionnaient du regard. 

Finalement, "cerveau 1" est arrivée, furieuse. Elle a invectivé les mamans, renvoyé les enfants vers les maisons. Tout le monde a baissé les yeux et s'est enfui, la tête entre les épaules.

Le chauffeur de bus s'est approché en demandant ce qui se passait.

"Cerveau 1" a répondu : "tant que la question de la nourriture n'est pas réglé, nous n'enverrons pas nos enfants à l'école grecque".

Le chauffeur : "mais il n'y a aucun rapport entre les deux?"

Cerveau 1 : "ce qui compte pour nous, c'est que nos enfants soient nourris. Vous pensez qu'en les envoyant à l'école, on va calmer le mouvement? Vous voulez nous faire taire? Vous voulez qu'on se contente de ce que vous voulez bien nous donner? Aider nous à faire changer la nourriture, et nous renverrons nos enfants à l'école."

Un militaire (oui, parce que maintenant, les militaires sont là régulièrement) : "mais vous avez demandé qu'on arrête le service de nourriture"

Cerveau 1 : "et nous avons demandé des réponses. Pour l'instant, nous n'en avons aucune. Tant qu'on aura pas de réponses, on bloquera tout. Ce serait trop facile de faire comme si de rien n'était."

Le bus est reparti, sans enfants. L'armée est reparti en promettant qu'une discussion était encore en cours entre l'armée, le service de catering et l'UNCHR, et qu'il y aurait bientôt des réponses. Cerveau 1 est reparti, furieuse contre les mamans qui voulaient envoyer les enfants à l'école.

Quand je lui ai demandé un peu plus d'explications, elle m'a dit "tu sais, si toutes les familles dans le camp sont solidaires, on va pouvoir se faire entendre, on va pouvoir faire changer les choses. Quand on a vidé la grande cuisine, on a distribué 1 mois de croissants, d'oranges et de jus de fruits à chaque famille. Mais plein de mamans ont laissé leurs gosses se servir et gaspiller, et maintenant elles n'ont presque plus rien, et elles s'inquiètent. Et elles veulent revenir en arrière. Et elles laissent leurs gamins décider d'aller à l'école grecque et foutre en l'air notre combat pour se faire entendre.

On leur a dit qu'il faudrait tenir avec ça, qu'il fallait faire durer. Si on tient ce combat tous ensemble, s'ils finissent par enlever le service de distribution, on sera le seul camp en Grèce à ne pas bénéficier de nourriture. Tu comprends ce que ça veut dire?"

J'imagine qu'elle pense qu'ils recevront plus d'argent pour s'alimenter, mais ça n'arrivera pas. Nous avons été plusieurs à leur expliquer qu'ils n'auraient pas plus d'argent sur les cartes s'ils ne bénéficiaient pas du service de distribution de nourriture. L'idée est donc d'orienter le "combat" vers un changement de service de distribution de nourriture, d'aller plutôt vers des distributions de denrées à se préparer soi-même. C'est dans ce sens qu'on travaille en tous cas.

Bref, tout ça pour dire qu'on n'a pas eu le briefing avec le superviseur.

Pour cause de naissance ! Un petit bout de chou a vu le jour, Mabrouk (félicitaitons) aux parents, et Mahraba (bienvenue) à lui !

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :