Tout d'abord, je voulais vous donner quelques nouvelles de nos enfants "abandonnés": les parents ne sont toujours pas revenus d'Athènes. Ça fait à peu près dix jours... Une mère de famille dort avec eux toutes les nuits mais la journée, ils sont tous seuls.
Ce qui nous préoccupe en ce moment, c'est qu'ils ne peuvent plus aller au service de catering puisqu'il n'y en a plus. Les autres familles s'assurent pour l'instant qu'ils ont assez à manger. La seule chose qu'on puisse faire, c'est vérifier que les enfants sont toujours en contact avec leurs parents. Et attendre...
Le portail est toujours fermé. Des rumeurs circulent: le service de distribution de nourriture aurait essayé d'entrer ce matin, les camions poubelles ne viendraient plus ramasser les ordures...
Du côté des volontaires, c'est le silence. Nous n'avons aucune information à propos de ce qui va se passer. Des militaires sont venus ce matin, vérifier que tout était calme. Mais impossible de savoir si le meeting prévu entre l'armée et le service de distribution a bien eu lieu.
D'après certains réfugiés, les familles ont assez d'eau pour tenir trois jours. Et après ?
C'est un peu comme si les réfugiés voulaient faire un siège de leur propre camp. Et de son côté, l'armée semble dire "ah, vous ne voulez pas de cette nourriture ? Et bien, soit, vous n'aurez plus rien". Un bras de fer impossible...
Aucun enfant n'est allé à l'école grecque aujourd'hui. Le bus n'est pas venu. Est-ce parce que les familles ne voulaient pas envoyer les enfants à l'école ? Ou est-ce parce que le bus n'est pas venu que les enfants ne sont pas allés à l'école ? Difficile de démêler le vrai du faux...
En tout cas, les familles font preuve d'une organisation précise: hier, la grande réserve a été vidée pour devenir une "cafétéria". Les familles se préparent à l'idée de ne plus avoir de distribution de nourriture et savent que tout le monde n'a pas les mêmes moyens. Ils prévoient donc de collecter de l'argent auprès des familles qui en ont, d'acheter en grande quantité et de préparer ensemble pour ensuite distribuer le plus équitablement possible. Du communisme à la syrienne en quelque sorte !
Je pense que l'idée est de ne pas briser l'esprit de solidarité dans le camp qui rend possible la contestation. Si une famille crève de faim, elle finira par faire appel à l'armée pour bénéficier de nouveau du service de distribution. Et tous leurs efforts pour s'en débarrasser seraient réduits à néant...
Par ailleurs, la vie continue. Même si les adultes sont préoccupés par leur combat avec les autorités, les adolescents et les enfants, eux, sont un peu perdus. Ils voient bien que les adultes sont sur les dents, que le portail est fermé, que les militaires qui n'avaient jamais mis un pied dans le camp (ou si peu) sont là plus régulièrement. Ils entendent les rumeurs et les menaces sans vraiment savoir s'ils doivent avoir peur ou non. Alors les professeurs volontaires continuent à assurer l'école, les activités sportives, etc. Quitte à insister aussi avec les ados qui n'en peuvent plus de servir de traducteurs entre les adultes à propos de sujets qui les dépassent et les angoissent.
Donc je voulais aussi vous reparler de Tareq. Nous avons réussi à créer une chaîne YouTube, malheureusement il n'a pas voulu y mettre les vidéos que nous avions faites. Je crois que ça lui a fait peur, qu'il a vraiment douté de ses capacités... Il était tout perdu ces derniers jours, à se demander si après tout, il ne valait pas mieux retourner en Syrie, rentrer dans l'armée syrienne plutôt qu'à être planqué dans un camp à attendre peut-être un jour de pouvoir rejoindre son frère. Après une longue discussion, il a voulu qu'on essaie à nouveau, au moins pour se changer les idées. Nous sommes donc répartis pour une nouvelle série de vidéo. La première devrait être mise en ligne ce soir.
Demain nous avons prévu un autre "tournage" mais Tareq ne sait pas trop de quoi parler. Y-a-t-il des sujets dont vous voudriez entendre parler ? Avez-vous des questions à lui poser ?
A demain pour de nouvelles aventures !!!